Les 6 derniers mois ont été difficiles pour ma famille et moi. En fait, je ne peux pas me souvenir d’une autre période de ma vie où je me suis sentie si débordé, à bout et découragée. Heureusement, le pire est passé. Depuis, j’ai eu le temps de réfléchir à cette période et plus particulièrement, sur comment ma pratique de pleine conscience m’a aidé à la traverser. Bien qu’une grande partie de ce qui suit soit un compte rendu de mon expérience personnelle, je crois que la valeur de la pratique telle qu’elle était appliquée dans cette situation est universelle.

Je vais essayer de vous mettre au courant de ce qui est arrivé sans vous ennuyer à mort avec tous les détails de mes « first-world problems » : ma femme et moi vivons avec nos jeunes enfants (M, 4 ans & G, 1 an et demi) dans un condo à Montréal. Au printemps dernier, nous avons découvert une importante infestation de moisissure dans notre sous-sol. Le problème était si grave que cela compromettait l’intégrité structurelle de nos planchers de cuisine et de salle de bain (nous avons eu de la chance que le plancher n’ait pas cédé pendant que M & G étaient dans le bain) et empoisonnait la qualité de l’air dans notre maison. Imaginez : G respirait cet air toxique depuis son retour de l’hôpital à l’âge de 2 jours! Le résultat était que nous devions : déménager; embaucher des spécialistes pour décontaminer le vide sanitaire; arracher les planchers; déterrer notre cour pour régler le problème d’infiltration d’eau; puis reconstruire et refaire le travail de finition. Pour aggraver les choses, nous avons dû entreprendre trois recours légaux distincts si nous voulions récupérer les coûts s’élevant à plusieurs milliers de dollars.

Au milieu de tout cela, j’ai eu des nouvelles dévastatrices de ma mère : son cancer avait récidivé. Il était maîtrisé depuis 3 ans grâce à un nouveau médicament, mais malheureusement, la maladie avait progressé et le médicament n’était plus efficace. Nous ne savions pas combien de temps il lui restait à vivre.

J’ai appris au fil des années que lorsque je vis des émotions ou que je me sens dépassé, le principal symptôme est l’irritabilité. Je suis facilement frustré par des revers mineurs et impatient avec les gens autour de moi. Ce que j’ai vécu pendant l’été a été la tempête parfaite pour déclencher mon état vulnérable : nous avons déménagé dans et hors de 6 maisons différentes, nous avons soutenu nos enfants à travers ces changements, géré le fardeau financier de tout le travail sur notre maison et nous avions d’innombrables rencontres avec des entrepreneurs et des avocats, tout en devant vivre avec cette nouvelle troublante à propos de la santé de ma mère.

Puisque nous avons beaucoup déménagé pendant l’été, il était difficile de garder une trace de nos biens personnels. J’allais me raser à la salle de bain avant de travailler, seulement pour me rendre compte que j’avais laissé ma trousse de rasage dans un autre sac à la maison; ma fille voulait dormir avec son 2e animal en peluche préféré, mais celui-là était dans l’entrepôt; ma femme voulait recharger son iPhone, mais j’avais oublié le chargeur dans l’autre appartement, et ainsi de suite pendant 3 mois. Et chacune de ces petites frustrations m’irritait. Je devenais tendu, je grognais à l’intérieur, et pensais (encore et encore) « C’est tellement énervant! Je ne peux pas gérer toute cette frustration! Je n’arrive pas à croire que je doive acheter un autre chargeur à iPhone! ». Comme vous pouvez imaginer, ma tête n’était pas un endroit très plaisant.

Lors d’un de mes plus grands moments de découragement, il m’est venu à l’esprit que l’ampleur de ces défis dépassait ma capacité à pratiquer et à faire face à ces difficultés. J’ai donc cherché un peu d’inspiration auprès de Pema Chodron, dont les livres m’avaient aidé à traverser des moments difficiles dans le passé. J’ai repris « Living Comfortably with Uncertainty and Change » et je me suis souvenu de l’un de ses enseignements les plus convaincants : les moments de difficulté offrent les meilleures opportunités pour approfondir l’insight et la sagesse.

Selon Pema, lorsque les choses ne se passent pas comme prévu — quand tout s’effondre pour utiliser son expression — nous réagissons généralement avec une forme de résistance telles la frustration, la déception, la tristesse ou l’indignation. Nous sommes attachés à l’idée d’avoir les choses telles que nous les voulons et toutes ces réactions impliquent souvent l’augmentation de l’intensité émotionnelle à propos des plans qui n’ont pas fonctionné.

Plutôt que de resserrer notre emprise sur ce qui s’est déjà passé, Pema nous invite à lâcher prise et à nous détendre dans notre « existence fondamentalement sans fondement ». Cette expression est un jargon spirituel de fantaisie faisant référence à la nature impermanente et insatisfaisante de la réalité. Le fait est que mon désir de mettre de l’ordre dans mes « affaires » est forcément insatisfait parce que « les affaires » tombent invariablement dans le désordre. Les chargeurs d’iPhone sont perdus et retrouvés; la présence apaisante des animaux en peluche va et vient; les planchers d’appartement pourrissent et se reconstruisent; les relations s’effondrent et se rejoignent; même la vie humaine elle-même émerge et passe. Donc, tant que nous sommes attachés à avoir les choses d’une certaine manière, nous ressentirons inévitablement cette insatisfaction. Dans le bouddhisme, cela s’appelle dukkha.

La plupart d’entre nous, moi inclus, ne pouvons pas vraiment y échapper. Nos cerveaux ont évolué pour nous faire sentir plus confortable dans des environnements familiers qui sont prévisibles et sous contrôle. Il faut plus d’efforts et d’énergie pour s’adapter à des circonstances nouvelles et imprévisibles — et qui sait quelles menaces inconnues se cachent dans le désordre? L’adaptation au changement s’accompagne donc souvent de stress, d’anxiété et d’épuisement. Aller au-delà de notre héritage évolutionnaire et travailler habilement avec la dukkha exige une pratique significative.

Selon Pema, nous pouvons nous ouvrir à des moments de frustration et de stress. Cette pratique commence avec la pleine conscience. L’idée est de plonger dans la conscience des moments qui se déploient, une conscience qui n’est pas attachée ou façonnée par nos préférences ou nos jugements. La résistance elle-même peut être utilisée comme une invitation à pratiquer l’ouverture et la curiosité. Dans mon cas, cela se réfère aux tensions dans le cou et les épaules, le sentiment de frustration qui accélère, et les pensées de rumination sur les circonstances. N’importe quel de ces éléments pourrait servir de signal pour s’arrêter et dire « wow, la résistance est là; voyons à quoi cela ressemble ». À un certain niveau, cette attitude perturbe les réactions habituelles automatiques d’irritation et de rumination et permet de se vivre à l’instant présent différemment, avec un peu plus de douceur et d’autocompassion. À un niveau plus profond, elle ouvre également la porte à un insight expérientiel de l’impermanence, à une compréhension profonde et claire des conditions changeantes et du bien-être durable qui découle d’une volonté d’accepter et de travailler avec ce qui se manifeste.

Bien sûr, beaucoup de répétitions et de pratiques délibérées sont nécessaires pour passer d’un insight momentané à une nouvelle façon d’être. Et je dois admettre que j’ai échoué à faire ce changement plus souvent que j’ai réussi. Mais j’ai une expérience intéressante à partager.

Un matin, au milieu de l’été, je suis allé me promener avec mes filles pour que ma femme puisse rattraper un peu de sommeil. La température était minable, mais il n’avait pas encore commencé à pleuvoir et les enfants avaient besoin de sortir. Nous sommes donc sortis dehors et avons passé un bon moment. Sur le chemin du retour, les filles ont commencé à se plaindre : « J’ai faiiiiimmmm. Je suis faaatiguéééée. Je ne veux plus marcher, etc. ». Peu de temps après cela, il a commencé à pleuvoir (évidemment) et les plaintes ont dégénéré en pleurs. D’une manière ou d’une autre, malgré le mal de tête, la fatigue et les vêtements mouillés, j’ai réussi à ne pas réagir. Je n’ai rien dit ou fait autre que d’observer le moment se dérouler. Pour être clair, ce n’était pas un acte de suppression ou d’auto-illusion; il n’y avait tout simplement pas d’autres « stratégies » à ma disposition hormis le fait de lâcher-prise de mes préférences et travailler avec ce qui était présent. Après une minute ou deux, les filles se sont calmées et ont marché tranquillement. Ensuite, la pluie a cessé. Et alors que nous approchions la maison, j’ai remarqué un sentiment calme de gratitude alors que je réalisais la beauté de mon environnement, ainsi que le sentiment que tout allait être correct.

Pendant un bref instant, j’ai été conscient de notre « existence fondamentalement sans fondement ». Aussi difficile et compliqué que cela puisse paraître, cela impliquait peu d’effort ou de technique — ralentir et s’ouvrir. Alors, voici votre invitation à vous détendre dans ces moments (petits ou grands) lorsque vous vous sentez coincé dans la réactivité. Cela peut aider à ramener l’intentionnalité et une appréciation plus profonde de l’impermanence.

Photo par Michael Dam sur Unsplash