Il y a environ un an, une de mes amies m’a dit qu’elle souhaitait participer à un « groupe de deuil sur le changement climatique » dans notre quartier. Je n’avais jamais entendu parler d’une telle chose, mais après réflexion, c’était vraiment logique. Les gens sont vraiment bouleversés par le changement climatique et ne savent pas quoi faire. Je vois de plus en plus de clients se présenter dans mon bureau avec ces préoccupations. Je vois de plus en plus de nouvelles et d’articles sur le sujet sur les réseaux sociaux. J’ai même commencé à en parler dans les médias. Le terme technique pour désigner ce sentiment de bouleversement est « écoanxiété » et il s’agit incontestablement d’une réalité.

Le changement climatique et la santé mentale

Alors, qu’est-ce que c’est exactement? Le terme est né d’une préoccupation croissante pour les divers problèmes de santé mentale qui peuvent découler du changement climatique. Les tempêtes violentes, les inondations, les sécheresses, les vagues de chaleur, les feux de forêt et autres événements climatiques extrêmes peuvent avoir des conséquences désastreuses sur la vie des gens. Des personnes peuvent être tuées, blessées ou forcées de quitter leur foyer, ce qui peut être dévastateur pour les familles et les collectivités. Les migrations massives peuvent avoir des conséquences néfastes sur les gens à plus vaste échelle. Le stress post-traumatique causé par les événements climatiques est courant, tout comme la peur, l’anxiété, la dépression et l’irritabilité auxquelles on peut s’attendre dans ces conditions stressantes. Il convient de noter que les événements liés aux changements climatiques sont plus susceptibles d’affecter les changements climatiques sont plus susceptibles de nuire aux personnes vulnérables, comme les gens pauvres, et que, par conséquent, ces populations sont plus sensibles aux effets aigus sur la santé mentale.

C’est quoi l’écoanxiété ?

L’American Psychological Association (APA) définit l’écoanxiété comme « une peur chronique du désastre environnemental » (rapport, anglais seulement). Comme le suggère la définition, l’écoanxiété n’est pas une réponse à un événement extrême, mais un état d’esprit qui se manifeste progressivement à mesure que nous observons les conséquences lentes et effrayantes du changement climatique. L’écoanxiété se manifeste souvent par une inquiétude et une rumination intenses, une anxiété généralisée, de l’insomnie, des crises de panique, des sentiments de tristesse, de perte, de culpabilité, de désespoir et d’irritabilité. Le terme n’a pas été inclus dans la dernière édition (datant de 2013) du Diagnostic and Statistical Manual de l’American Psychiatric Association, mais il sera certainement considéré dans les prochaines éditions puisque l’ampleur du problème devient flagrante. Selon une enquête réalisée à Yale en 2018 , 70 % des Américains sont « inquiets » et 29 % sont « très inquiets » à propos du changement climatique, tandis que 51 % se sentent « impuissants ». Même s’il y a peu de données disponibles, les jeunes (milléniaux, génération Z) semblent plus touchés par l’écoanxiété que leurs aînés (génération X, baby-boomers). Les professionnels de la santé mentale s’intéressent de plus en plus aux répercussions du changement climatique : en 2008, l’APA a mis sur pied un groupe de travail et a publié en 2017 ce rapport de 70 pages [en anglais seulement] afin de sensibiliser et d’éduquer les professionnels.

L’émergence du terme « écoanxiété » s’est heurtée à une certaine résistance. Certains sceptiques lèvent les yeux au ciel, croyant qu’il s’agit du nouveau mot à la mode que ceux qui aiment se regarder le nombril ont trouvé pour mieux se plaindre. D’autres s’opposent à la médicalisation d’un sentiment très réel et pertinent. En tant que personne qui conseille ses clients aux prises avec l’écoanxiété (et qui l’éprouve elle-même), laissez-moi vous dire que ce phénomène est réel et que cela cause beaucoup de souffrance. Je crois aussi que l’anxiété, qu’il y ait ou non un terme diagnostique, est une réponse parfaitement rationnelle à une menace réelle pour notre mode de vie sur cette planète. Le fait d’étiqueter la réponse avec un terme diagnostique ne devrait pas invalider ou dominer l’ampleur du problème ni la personne qui en souffre. Cela dit, nous devons apprendre à y faire face et nous atteler à la recherche de solutions. Alors penchons-nous sur ce qu’il faut faire à cet égard.

Comprendre l’anxiété

Fondamentalement, l’écoanxiété est une forme d’anxiété comme n’importe quelle autre. Il s’agit d’une réponse psychophysiologique à une menace pour notre sécurité ou notre bien-être. Alors que la peur implique une réaction spécifique à une menace imminente, l’anxiété est une réponse diffuse à une menace non spécifique ou incertaine. Donc si vous êtes une antilope en Afrique et qu’un lion vous saute dessus dans la brousse, vous avez peur. Si vous souffrez d’anxiété face à la santé, vous avez peur que vos maux et douleurs soient liés à des problèmes de santé plus graves. Avec l’écoanxiété, la menace est large et abstraite, alors elle est difficile à contenir et à résoudre. C’est un peu comme l’anxiété que beaucoup de gens ressentaient dans les années 1960 lorsqu’ils croyaient que le monde était sur le point de connaître une guerre nucléaire. La teneur de l’anxiété peut varier, mais les mécanismes sous-jacents sont les mêmes. Et c’est une bonne nouvelle, car les stratégies qui aident à faire face à d’autres angoisses s’appliquent également à l’anxiété.

La clé pour faire face à l’écoanxiété est de développer une résilience psychologique. Autrement dit, les changements climatiques se produisent en ce moment même et ils touchent des gens partout dans le monde. Nous devons tous trouver un moyen de faire face aux émotions difficiles qui en découlent et continuer à nous engager dans le processus de recherche d’une solution. Voici comment y arriver:

Quoi faire

  1. Gérez votre humeur

Parce que le changement climatique est une menace abstraite, que vous éprouviez ou non de l’écoanxiété dépendra de votre façon d’y penser. Malheureusement, c’est aussi un sujet complexe, multidimensionnel et très technique, ce qui signifie qu’il est difficile d’y voir clair. Notre cerveau préfère l’information qui est présentée sous forme de récits simples et concrets et, par conséquent, s’appuie sur l’heuristique et les raccourcis pour faire face à la complexité. Ce penchant pragmatique peut être utile – et même nécessaire – pour survivre et faire avancer les choses. Mais il peut aussi créer des préjugés et des distorsions dans notre façon de penser, en particulier face à la menace. Les gens sont victimes d’un certain nombre de distorsions cognitives classiques lorsqu’ils sont coincés dans une boucle d’inquiétude d’écoanxiété, comme le catastrophisme, la pensée en noir et blanc et le raisonnement émotionnel. Par exemple, j’ai travaillé avec un client qui est devenu très préoccupé par la mort après la publication d’un important rapport sur les changements climatiques l’an dernier. Nous avons pu le raisonner en décortiquant toutes les conclusions automatiques qu’il avait faites sur le danger. Ce n’est pas qu’il n’y a aucun danger, c’est plutôt que le danger doit être contextualisé correctement.

Malheureusement, les actualités et les réseaux sociaux ne sont pas nécessairement utiles à cet égard. Nos écrans nous montrent en permanence des contenus provocateurs sur le changement climatique. Parfois, l’information est exacte, mais souvent, elle est biaisée et conçue pour détourner notre attention. Il est donc important de gérer votre « régime d’informations » en vous assurant un apport en contenu nutritif et de qualité.

Le changement climatique est déjà assez stressant; vous n’avez pas besoin que votre cerveau accumule des croyances exagérées ou fausses sur ce qui se passe réellement dans le monde. Ainsi, vous devez devenir un expert dans la détection et la correction de ces erreurs cognitives. Si des livres tels que Dépression et anxiété : comprendre et surmonter par l’approche cognitive et Cognitive Behavior Therapy ne suffisent pas, adressez-vous à votre thérapeute local en comportement cognitif. Une fois que ces schémas de pensées négatives vous sont familiers, la pleine conscience peut être un outil utile pour vous débarrasser des ruminations inutiles qui courent à l’arrière-plan de la conscience. La pleine conscience peut aussi vous aider à développer la clarté et l’attention nécessaires pour comprendre les nouvelles, les publications sur les réseaux sociaux et les discussions sur le sujet, et vous inciter à vous impliquer activement dans une cause qui vous tient à cœur. Jetez un coup d’œil à La pratique de la pleine conscience ou participez à un atelier de Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience près de chez vous.

  1. Communiquez avec les autres

Les humains sont des animaux sociaux. Nous n’avons pas de grandes dents, de muscles forts ou de jambes rapides. C’est notre capacité à coopérer avec les autres à grande échelle qui nous a permis de nous adapter à pratiquement tous les créneaux de la planète. Ainsi, l’évolution nous a rendus très dépendants les uns des autres pour nous procurer un sentiment de sécurité et de bien-être. C’est particulièrement vrai lorsque nous sommes contrariés. Rien n’aide à calmer notre système nerveux de façon plus fiable et durable qu’un lien sûr et sécuritaire avec un autre être humain.

Malheureusement, le repli et l’évitement sont des caractéristiques courantes des troubles anxieux et de l’humeur. C’est l’une des cruelles réalités de la boucle de rétroaction sur l’humeur. Lorsque nous nous sentons déprimés ou inquiets, nous tournons souvent notre attention vers l’intérieur et cherchons refuge, plutôt que de chercher une solution en dehors de nous-mêmes. Ce changement interne nous éloigne des autres et nous passons plus de temps seuls dans notre tête, à ruminer et à nous inquiéter. Au fil du temps, notre énergie et notre motivation diminuent et tout ça fait boule de neige.

Pour faire face efficacement à l’écoanxiété, nous devons nous tourner vers les autres pour obtenir leur soutien. Il ne faut pas souffrir en solitaire. L’émergence de l’écoanxiété dans le discours public sensibilise et aide les gens à construire un vocabulaire commun, ce qui devrait faciliter le soutien mutuel. L’apparition degroupes de soutien dans le monde entier et sur Internet est un très bon signe.

  1. Restez engagés

Souvenez-vous que l’anxiété est la réaction du corps à une menace. Il est essentiel de comprendre que toute cette activité inconfortable qui survient dans notre corps et notre esprit face à la menace – augmentation du rythme cardiaque, tension musculaire, poussée d’énergie, hyperconcentration, etc. – remplit en fait une fonction importante : nous aider à relever le défi. Si nous restons à la maison et que nous nous inquiétons toute la journée, nous ne faisons que mijoter dans notre propre agitation. D’un autre côté, si nous pouvons trouver un moyen d’exploiter cette énergie et de faire face activement à la menace, nous nous sentirons beaucoup mieux. Cet effet ne consiste pas seulement à libérer de l’énergie refoulée. Il se peut que nous soyons en mesure de résoudre certains problèmes et de jouir d’un plus grand sens de l’auto-efficacité. Les avantages d’une prise d’action peuvent aller encore plus loin. Lorsque nos actions s’alignent sur nos valeurs fondamentales et notre objectif, nous avons accès à un sentiment profond de signification, d’intégrité et de paix.

L’adaptation à des fins particulières est une solution idéale à l’écoanxiété. En plus de réduire les troubles d’anxiété, elle nourrit également des valeurs plus prosociales. Beaucoup d’entre nous se sentent obligés de contribuer à la lutte contre le changement climatique par compassion. En agissant de la sorte, nous alignons notre fébrilité et notre compassion, ce qui stimule vraiment notre motivation. Cela dit, il est important d’équilibrer le désir de faire le bien dans le monde, grâce à l’autosoin et à la sérénité. Il y a une limite à ce que nous pouvons accomplir dans une journée donnée et un activiste épuisé ne sera pas d’une grande aide.

Donc, en plus de mettre vos pensées au clair et de rester en contact avec les autres, voici ce que vous pouvez faire activement pour réduire votre écoanxiété et contribuer à notre effort collectif de lutte contre le changement climatique :

  • Votez et exigez des engagements de nos représentants (il y en aura une grosse élections cet automne au Canada!)
  • Réduisez votre consommation de viande (en particulier le bœuf et le porc)
  • Faites plus de déplacements physiques (marche, vélo, jogging, etc.)
  • Choisissez plus souvent les transports collectifs que votre voiture
  • Réduisez votre consommation de produits en plastique

Vous pourriez aussi vous impliquer davantage auprès d’organisations qui travaillent activement à la lutte contre les changements climatiques. Voici quelques options au Canada :

Il y a en fait beaucoup de travail à faire en ce qui concerne les changements climatiques et nous avons besoin de l’aide de tout le monde. Imaginez que toute l’énergie suscitée par l’écoanxiété soit canalisée vers des actions visant à trouver des solutions au changement climatique. Les gens se sentiront responsabilisés et solidaires, et ensemble, en tant que communauté mondiale, nous serons sur la bonne voie pour redresser le navire du climat. Ce résultat est incroyablement inspirant pour moi et j’espère que vous partagez mon enthousiasme.